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10 mythes sur le logiciel libre

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–  vendredi 18 avril 2008, par Julien Tayon

Vous voulez utiliser du logiciel libre, devenir professionnel dans ce dernier, contribuer, sécuriser vos infrastructures...

Et vous pensez que le logiciel libre est la solution ? Peut-être vous laissez-vous influencer par la mythologie. Une piqûre de rappel de réalité pourrait peut-être aider.

1- Le libre est un milieu où tout le monde est accueilli à bras ouverts indépendamment de son milieu d’origine

Le milieu du libre est très majoritairement masculin sans qu’on puisse l’expliquer. Le logiciel libre est user friendly et non idiot friendly. De bonnes capacités de communication et d’encaissement sont nécessaires.

Mais, une fois toutes ses barrières levées, le milieu du logiciel libre est très convivial, si les débats animés sont votre tasse de thé.

2- Le code libre est meilleur que le code propriétaire, notamment parce que l’on réutilise beaucoup

Selon Sam Hocevar, et je le rejoins là-dessus, 90% de la production du logiciel libre est merdique, et quand il y a un bug il va plus vite de ré-écrire le code que de le déboguer.

Il n’empêche que dans les 10% restant il y a des perles que l’on peut réutiliser même si le code est pourri. C’est la magie du packaging. Par exemple : gzip le code les plus abscons en C qu’il m’ait été donné de lire, ISC DHCP et ses fonctions génériques définies à coup de pragma, openSSL, libPNG, Apache...).

Le logiciel libre n’est pas supérieur, il est mieux packagé, car dans le logiciel libre ce n’est pas chaque développeur qui fait un métier qu’il ignore, ce sont des spécialistes du packaging qui font ça, et les développeurs qui veulent être connus programment le plus portable possible, et essaient de suivre les conventions de code. Ce n’est pas une question de licence, ni de technologie, c’est une question d’habitude et de culture.

Ce qui n’empêche pas des développeurs qui ne font pas de logiciel libre de très bien travailler aussi.

3- On fait de meilleurs projets en société qui fait du libre (Aka SSLL) qu’en Société de Services en Ingénierie Informatique (SSII)

Les entreprises cherchent généralement avant tout à faire de l’argent, et tentent de s’en sortir mieux que la concurrence. L’effort nécessaire pour développer un logiciel, et celui pour qu’il devienne un logiciel libre, demande au moins trois fois l’effort :
 il demande de la documentation ;
 du code propre ;
 de la communication et de l’évangélisation auprès des communautés adoptantes ;
 la mise en œuvre et de faire vivre un référentiel communautaire (avec FAQ, doc, forums, bug tracking, source ...).

Aucun client n’est prêt à payer pour ça. Peu d’entreprises qui publient sous licence libre se donnent la peine d’aller aussi loin. Une entreprise doit d’abord satisfaire ses clients, et les clients du libre sont les mêmes que les autres : ceux qui sont prêts à payer pour ce qu’ils demandent, ni plus, ni moins.

Une SSLL finit soit par pondre du code de qualité industrielle (au sens péjoratif) [1], soit par faire ce que font les autres SSII : satisfaire le client.

Il y a des exceptions sûrement, comme dans le propriétaire.

4- Les salariés sont mieux traités dans le libre

Les sociétés du libre sont jeunes. Comme les start-ups à leur grande époque, le traitement y est différent du fait que c’est l’effet pionniers. Différent ne veut pas dire mieux ; comme les salariés se sentent plus impliqués il y a des avantages (motivation, sentiment de proximité, sentiment de conquérir) et des inconvénient (salaires faibles comparés à la concurrence, workholism)... Et même si on vous les promet, vos stocks options, la gloire que vous êtes sensés acquérir ne sont que l’or du fou. Un employé reste un employé, subordonné à son patron.

Si, après-demain, une vague de mode pour le boudin tantrique apparaît, vous aurez exactement les mêmes traits qui apparaîtront. Je ne traite pas les cas atypiques comme les SCOP.

5- Le logiciel libre c’est le succès garanti

Sourceforge et Freshmeat créditent plusieurs dizaines de milliers d’applications libres. Si on rajoute les nouvelles forges Microsoft, et tous les projets qui ne sont pas référencés (facilement plus), demandez-vous si ça concurrence les 1000 projets installés sur une distribution standard (Ubuntu, Debian, Red Hat, *BSD...).

Au mieux, 1% des projets sort du lot. Qu’est ce qui garantit le succès ? Rien. Faire du propriétaire, c’est facile ; votre code n’est pas exposé, il y a moins de critique possible, et si vous ne restez pas créatif alors vous êtes à la merci de quelqu’un qui ne fait que reprendre votre projet pour vous concurrencer.

Si vous êtes les meilleurs, le libre peut faire une grosse différence ; si vous êtes médiocres vous vous ferez enfoncer. Le libre est taillé pour l’excellence, or nous sommes loin d’être excellents. Donc, si vous faites du libre pour suivre la foule, il est probable que vous allez vous faire rétamer. De toute façon ce serait cool que plus de gens fassent du proprio, ça liquiderait des codes de merde infâmes qui polluent le logiciel libre.

6- Le libre c’est gratuit

À part SSH, aucune application libre n’arrive empaquetée d’une manière suffisamment propre pour être utilisable en la sortant de la boîte, sur les dizaines (centaines ?) de milliers de projets libres, comment fait-on son choix ?

Le choix simple serait de prendre ce qui est le plus utilisé par tous, mais la liberté n’est-elle pas aussi le choix ? La possibilité d’étudier ? De modifier ? Et de redistribuer ?

Les interfaces en "clique à clique" d’administration de configuration sont sûrement cools. Mais, si le libre a une faiblesse, c’est que pour utiliser son système il faut le comprendre.

Le logiciel libre est gratuit, soit parce que l’on a des salariés qualifiés, soit parce qu’on investit du temps à l’étudier.

Imaginer que le logiciel libre est gratuit, c’est comme imaginer qu’utiliser la vieille deux chevaux de votre daron ne va vous coûter ni en garage, ni en temps à l’entretenir.

Le libre vous coûte une ressource précieuse avant et pendant une utilisation qui ne vous coûte rien : du temps. Et le temps c’est soit de l’argent, soit de la passion.

En résumé le logiciel libre c’est gratuit pour les passionnés.

7- Faire du logiciel libre, c’est simple, aussi bien en tant que volontaire que businessman

Non, c’est une démarche exigeante pour ceux (individus ou entreprises) qui veulent donner du code, des traductions de l’aide. Et rien ne garantit le succès. Pourquoi ? Coder est une activité créatrice, rien n’a jamais garanti à un créateur le succès de ses créations.

Connaissez-vous beaucoup d’activités où l’on demanderait à ses clients de payer trois fois plus, pour des résultats incertains tout en étant exigeant avec ses clients ?

Le succès est une conjonction d’action (votre créativité), et de hasard. Vous pouvez travailler, cela influencera le hasard, mais en aucun cas ne garantit la bonne fortune.

8- Le libre c’est plus interopérable ...

Non, ce qui fait l’interopérabilité ce sont les standards d’échange ; un serveur IIS de Microsoft n’en est pas moins un serveur interopérable avec Internet. Parfois, je préfère même le voir entre les mains des mauvais administrateurs systèmes car bien qu’il soit moins puissant, les administrateurs système qui ne savent pas lire les manuels peuvent aussi moins faire de dégâts.

9- Le libre c’est plus sûr ...

Pour la sécurité c’est la même chose. Il n’y a pas moins de débordement de tampon, de pile ou autre que dans le logiciel propriétaire, c’est juste qu’il est potentiellement plus facilement détectable et corrigeable par tout un chacun.

Mais un logiciel libre basé sur un algorithme branlant et vicié à la conception ne pourra jamais être autre chose que bogué quelle que soit la qualité du codeur.

Ce qui importe en sécurité, c’est avant tout une bonne conception, des bons travaux de recherche, et aussi une bonne implémentation.

L’implémentation qui peut être en logiciel libre n’est que le dernier maillon de la chaîne, et même si on pouvait prétendre que le logiciel libre est meilleur que le logiciel propriétaire, la force de son dernier maillon ne garantirait pas celle de la chaîne.

A- Le logiciel libre porte des valeurs d’égalité, de liberté, de fraternité, de libéralisme, de communisme...

Le logiciel libre ne porte aucune valeur morale, tout juste un logo dans son écran d’aide. Un logiciel libre n’est qu’un logiciel, avec une licence type ; bref : un outil. C’est comme pour un marteau ; qui aurait l’idée de dire qu’il porte des valeurs ? Et lesquelles ensuite ? De construction pour les uns, de destruction pour les autres ?

Les valeurs ne sont pas portées par l’outil (la licence n’étant qu’un outil), mais par ceux qui l’utilisent. Cette communauté changeant, lesdites valeurs ne sont que versatiles.

B- Le logiciel libre est une communauté

C’est faux évidemment.

Par contre, le logiciel libre est soutenu par des communautés distinctes qui ont des valeurs implicites communes, mais des discours opposés. Quel point commun y a-t-il entre la survie au plus apte de l’OpenSource, et l’égalité citoyenne de la FSF ?

Des valeurs communes, des discours opposés.

Parler de logiciel libre est juste un référent commun entre des communautés différentes, des convictions parfois opposées qui collaborent.

C’est un peu comme dire que les machines Linux et Windows sont une communauté car elles parlent le même Internet [2]

C- Le logiciel libre peut s’appliquer à tout

Le logiciel libre peut s’appliquer à tout ce qui a un coût nul :
 à la copie,
 à la redistribution
 à l’utilisation

Une baguette de pain ne peut pas être libre dans le sens du logiciel libre pas plus que ma copine.

Par contre, les idées, l’art, les sciences, la culture, la pratique sportive, les contenus numériques, les gestes techniques, les folklores et savoirs traditionnels peuvent être libres. Ce qui fait, certes, un grand domaine qui reste un petit point de notre vie.

D- Les problèmes de loi sur les brevets, la copie privée, les médicaments, l’accès à tous à l’Internet sont des problèmes du logiciel libre

Absolument pas, ce sont des problèmes connexes, au mieux. Mais le logiciel libre existera tant qu’il y a aura des gens pour partager. Je ne pense pas que l’illégalité empêcherait le logiciel libre d’exister, tout au mieux ça nettoierait la communauté des mous du gland et ça la polluerait avec les post-ado-rebelles en mal de sensations.

Il est clair que les communautés du libre sont souvent plus sensibilisées que d’autre à ces problèmes, et pour ça leurs membres s’engagent dans des combats pour que les données soient libres, contre les lois liberticides dans le domaine numérique et autres... Mais si lien il y a, il vient de la connaissance du monde numérique. J’en veux pour preuve que je peux fournir -si on m’y force- des liens vers des développeurs Microsoft, ou d’autres boîtes propriétaires, qui vont défendre exactement les mêmes positions, tout en détestant voire ignorant le logiciel libre.

E- Microsoft, IBM, Apple, les majors c’est le mal

La notion de mal et de bien est une question morale. Pour que ces entreprises soient le mal, il faut alors les juger par rapport à une morale commune. Or comme précisé plus tôt, le logiciel libre est un fait culturel convergent à partir de discours divergents et non un fait moral.

IBM, Apple, Microsoft, SUN font maintenant du logiciel libre de manière publique avec des implications plus ou moins fortes.

Microsoft, IBM, Apple ont juste un fort passif culturel d’allergie au Net, ses outils, et ses techniques, et à l’ouverture du code.

Il n’y a pas de fait moral, il n’y a que des explications morales des phénomènes. Alors laissez le bien et le mal en dehors du logiciel libre si vous voulez garder un jugement équilibré.

F- Il est facile de modifier un logiciel libre pour ses besoins

Il est extrêmement facile de modifier un code pour ses besoins, mais un logiciel a un cycle de vie. Pour que la modification n’ait pas être refaite tous les 4 matins, il faut la reverser au pot commun. Cela demande sûrement plus de travail à convaincre un projet que l’on apporte une modification qui mérite d’être intégrée que de faire le patch lui-même. D’autant plus que modifier sans reverser (forker) est une entreprise hasardeuse.

Et encore, pour des modifications majeures, il vaut mieux collaborer en amont avec le projet, c’est-à-dire qu’avant de faire une modification que l’on suppose intelligente et que l’on a vendue à un client, il faudrait avoir demandé à la communauté son avis, et travailler avec elle. Et quand la modification est vraiment importante, aussi faut-il en plus garantir que quelqu’un va la maintenir.

Pour ceux qui l’ont déjà fait, le code ne représente qu’un dixième de l’effort, et il y a toujours infiniment plus de lignes dans votre correspondance mails pour aboutir à ce résultat que de lignes de code.

Facile à dire, moins à faire.

G- Logiciel libre un jour, libre toujours

Bullshit : des logiciels libres sont devenus propriétaires comme par exemple nessus suite au comportement de goret de certaines sociétés en sécurité. Il suffit de l’accord de l’ensemble des détenteurs des copyrights/droit d’auteurs d’un projet pour pouvoir changer la licence. Un projet dont les codes appartiennent de fait à une organisation [3] peut changer la licence de son projet sur les versions à venir.

Pour que le projet reste libre il faudrait :

  1. que le dernier code sous licence libre soit maintenable (pas comme feu Netscape) ;
  2. des gens aient le temps et la patience de le forker.

Ce qui est réaliste dans un monde où les ressources sont infinies, pas toujours dans le monde réel. De plus, aussi vertueuses soient les organisations garantes, rien ne nous protège de pétage de plombs en règle [4]

H- Les codeurs libres sont meilleurs que les codeurs d’entreprises

Deux fois non. La première est qu’au début, le logiciel libre ne faisait pas de distinction sur les diplômes, et ainsi le niveau académique en SSII était plus élevé, donc même si le code était aussi pourri, les codeurs du libre étaient académiquement moins bons.

Depuis la vague du hype du libre, les écoles se sont engouffrées dans le business, donc comme ça s’équilibre, on peut juste dire que les codeurs du libre sont également mauvais ou bon que leurs homologues non libres.

A l’histoire de déterminer si l’entre-soi et l’élitisme sont une bonne chose pour garder une culture d’ouverture.

I- Plus il y a de gens qui utilisent le logiciel libre, mieux c’est

Ce n’est pas le nombre qui change le monde durablement, c’est les idées, la culture.
Windows est encore majoritaire, est-ce que cela en fait une chose “mieux” que le libre ?
Former ou même sensibiliser une personne au libre ne nécessite pas qu’elle utilise du logiciel libre, et utiliser du logiciel libre n’implique pas que vous ayez compris sa culture. Donc plus de monde ignorant de la culture du libre peut même lui être fatal.

J- Il y a une définition du libre

Il y a une définition concise qui résume les libertés qu’une licence libre doit accorder. Mais le libre ne se résume pas à des licences de logiciels. A vous de vous faire votre opinion.

Le libre se définit à minima si vous voulez rester exact, et le flou fait partie de l’exactitude de cette définition [5].

10- Le libre c’est nul, ça suce des ours

Il n’empêche que c’est une aventure sympa si on ne la vit pas par rapport à un fantasme que l’on peut en avoir, comme par exemple : c’est bien, c’est mal.

C’est un milieu exigeant, et si l’on réussit à rester dans la course, on en retire le plaisir du compétiteur qui ne se laisse pas distancer. En se confrontant à des gros calibres, on en tire un plaisir personnel que l’on peut partager avec d’autres personnes du milieu, mais en dehors, c’est ni gagné, ni reconnu.

Si vous ne cherchez pas un monde de bisounours, si vous avez le coeur bien accroché, si vous êtes curieux(se), si vous ne vous laissez pas abattre au premier problème, si vous acceptez de passer votre vie à remettre en question ce que vous savez, si vous voulez être un vieux(vieille) con(ne) avant l’âge, alors le libre est un milieu enchanteur qui vous plaira.

Okay, il y a peut être une chose casse couille dans le logiciel libre ... ceux, nombreux, qui en parlent et le défendent en brassant du vent.

Bon, vous aurez remarqué que les mythes sur le logiciel libre sont au nombre de 10 en base 20 ;-)

Merci à D. Vermonden pour ses corrections.

[1samba ldap d’idéalix par exemple

[2Internet : protocoles TCP/IP et UDP pour être précis

[3Or une entreprise détient l’ensemble des droits d’auteur de ses salariés, de même que la FSF détient l’ensemble des droits d’auteurs de certains projets GNU

[4Je ne céderais jamais mes droits d’auteur à la FSF, car je refuse l’impuissance, et le risque d’une trahison comme le passage de données numériques à caractères non informatique (images, photos, sons, documentation) dans une licence non logicielle soit disant libre que je désapprouverais.

[5Ne pas confondre précis et exact : 3.1459 est une valeur précise de pi par exemple, elle n’est pas forcément exacte.

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