L’informatique étant un domaine scientifique, on suppose souvent que les choix d’adoptions de technologies sont liées à des critères rationnels. Est-ce si certain ?
Nous nous proposons d’étudier cette proposition au travers d’un problème simple : la disposition des touches sur un clavier.
Le seul point commun entre un PC, un mac, les serveurs haut de gamme réside dans une chose : la disposition des touches sur un clavier.
Comme les ordinateurs sont fait pour permettre d’aller plus vite vous pensez que la disposition des touches est ergonomique. Quoi de plus logique, en effet. Il n’en est rien.
Historiquement, lorsque les machines à écrire ont été faites, certaines personnes tapaient trop vites, et ceci coinçait les tiges, c’est ainsi, que pour être sûr de ne pas coincer les machines à écrire, il fût créé les claviers qwerty [1], et azerty [2]. Pour s’assurer que vous allez taper assez vite (mais pas trop) des lettres qui sont souvent tapées l’une après l’autre sont éloignées, et la configuration générale n’est pas des plus aisées. Pour vous en convaincre regardez l’emplacement du l du e, du q et du u, et des voyelles accentuées.
En 1930, un inventeur du nom de August Dvorak proposa un clavier dont l’emplacement des touches était fait pour optimiser la frappe. Ce clavier permettait non seulement d’aller plus vite mais en plus :
– il facilite la frappe aveugle (sans regarder ses doigts) [3].
– il diminue le déplacement des doigts (et donc la fatigue musculaire),
– il diminue les syndromes du canal carpien liés à l’utilisation excessive d’un clavier.
Tel que je décris la chose, la plupart des lecteurs pensent que j’ai caché quelque chose. Par exemple, le gain lié à l’utilisation du dvorak, serait-il perdu pour quelqu’un habitué aux autres claviers ?
Il semble que savoir taper vite n’est pas principalement lié à la disposition des touches sur un clavier : 2 mois de pratique non-intensive permettent de s’adapter à cette nouvelle disposition [4].
Où est donc le problème ?
Si c’est vrai pourquoi depuis 30 ans que les ordinateurs ont supplanté les machines à écrire devons nous continuer à utiliser un système obsolète ?
Est-ce l’oeuvre de la mondialisation ?
Est-ce impossible techniquement ?
Faut-il être adepte raéliens ou parler esperanto pour connaître ce clavier ?
Cela menace-t’il la suprématie mondiale de grand groupe ?
La réponse à ces questions est non. Même un système d’exploitation comme windows qui n’est pas réputé pour faire des choses rationnelles [5] propose en standard d’utiliser un clavier dvorak !
Le problème réside principalement dans le fait que l’ordinateur fût initialement considéré comme une machine à écrire. Il est vrai aussi que les premiers ordinateurs comme les minitels avaient une réactivité faible qui nécessitait aussi de réduire la vitesse de frappe. Ensuite, bien que les limitations liées à la vitesse de traitement ont disparues, on a gardé la disposition des touches pour ne pas dérouter les clients.
On dit que les ordinateurs/robots sont sensés aider les hommes à diminuer le travail pénible. Si vous avez souffert d’un syndrome du canal carpien, vous savez à quel point c’est pénible. Et pourtant, on continue à utiliser des claviers qui peuvent les aggraver voire en être l’origine. Si ce n’est pas nécessaire où est la logique ?
Il n’y en a pas.
Une partie des décisions en informatique sont liées à des phénomènes de mimétismes. On parle souvent de la façon dont les bonnes pratiques se répandent. On semble oublier que les mauvaises pratiques ont le même terreau, et pourtant c’est le cas.
Le choix d’utiliser un clavier azerty (ou qwerty) aujourd’hui est totalement irrationnel. Ce choix se perpétue non pas à cause des éditeurs de logiciels et des fabricants d’ordinateurs, mais à cause des utilisateurs : c’est-à-dire nous. Car, nous -les utilisateurs- avons peur du changement.
Ainsi, ne vous demandez plus pourquoi alors que le système de mesure officielle pour le commerce en France est le mètre, nous achetons des télévisions dont la diagonale est mesurées en centimètres, et des moniteurs informatiques dont la diagonale est mesurée en pouces.
Ne vous demandez plus pourquoi les plates-formes matérielles à base de puce motorola de la famille 68000 [6] se sont effacées devant l’architecture matérielle délirante des PCs.
Tout ceci est lié au fait que dans l’informatique, pour survivre, il faut faire comme tout le monde. C’est ainsi que l’informatique aujourd’hui semble inspirée par le chapelier fou, suffisamment d’utilisateurs étant convaincus du bien-fondé des choix passés.
Et si le logiciel libre est le clavier dvorak étaient comparables ? Le logiciel libre propose des applications bien conçues [7] avec une bonne assurance qualité, et une garantie légale identique à celle des logiciels commerciaux [8] Pourquoi ne pas les utiliser ? L’argument de la pérennité de la solution ne tient pas : le pire qu’il puisse vous arriver c’est d’avoir les sources pour maintenir le projet.
Si vous avez choisi intelligemment :
– le projet que vous utilisez a un code source propre : vous pouvez continuer à le faire vivre
– vous avez choisi une solution basée sur des standards ouverts, la migration vers un autre format de donnée se fera sans surprises.
– vous avez choisi un projet utilisé par d’autres : vous pouvez compter sur l’entraide liée à l’utilisation d’un même logiciel [9].
Le logiciel libre est un choix raisonnanle, mais est-ce un choix rationnel dans un environnement qui ne l’est pas ?
On constate la pérennité des claviers qwerty pour les ordinateurs récents, dont la vitesse de traitement de plusieurs 100 de milliers d’opération par seconde est très supérieure à notre insignifiante vitesse de frappe de 40 mots/minutes. Ceci est partiellement responsable de douloureux syndrome du canal carpien [10], et il n’y aucune raison logique de souffrir.
Cet exemple de personnes souffrant pour rien montre typiquement l’aspect mimétique et peu rationnel des choix en informatiques.
Plutôt que de dire que le monde est injuste et de partir en croisade contre cette absurdité, faites comme moi offrez-vous un clavier dvorak, non seulement les autres finiront peut être par vous copier :), mais aussi et surtout vous aurez moins mal aux poignets.
02/01/2003 : Je rajoute le lien suivant proposant des informations plus amples sur le clavier dvorak :
– les dispositions de touches disponibles,
– comment l’installer (sous windows),
– quelques considérations sur l’ergonomie,
– un historique,
– comment s’habituer à la nouvelle disposition.
[1] ce qui est la disposition des 6 premières lettres en haut à gauche sur la première ligne contenant des lettres
[2] pour les francophones
[3] les lettres souvent tapées l’une après l’autres sont proches, et les lettres les plus courantes généralement bien accessibles.
[4] mon expérience personnelle est qu’il est dure de changer de disposition de clavier souvent, mais qu’une fois que l’on a pris ses marques, les réflexes reviennent. Si quelqu’un avait une publication d’une revue d’ergonomie à me donner en référent, je serais assez heureux de pouvoir étayer mes dires.
[6] ceci concerne les macintoshs, les amigas, les ataris, les premières machines de SUN, et bien d’autres encores....
[7] Ce n’est pas le cas de toutes, je le rappelle :)
[8] C’est à dire que les licences logiciel libre déclinent toute responsabilité légale. Je rappelle que SUN insiste sur le fait que java ne doit pas être utilisé en environnement critique, et Microsoft vous laisse que vos yeux pour pleurer si windows et office sont à l’origine de la perte de vos 10 dernières années de travail.
[9] surtout quand tout le monde à besoin de trouver désespérément une solution
[10] la disposition des touches sur le clavier est un facteur aggravant, mais pas l’unique cause de ce syndrome