Avant-propos [1] : l’exemple d’Opquast de cet article n’est plus d’actualité suite au changement de licence des bonnes pratiques qualité pour les services en ligne. Les arguments développés dans cet article sont néanmoins intéressants pour des contextes analogues.
L’« ensemble de bonnes pratiques qualité pour les services en ligne » est
libre, sauf lorsque Temesis en décide autrement. Temesis est en équilibre entre
libre et non libre ; à qui cela profitera-t-il ?
Une initiative intéressante que celle de Temesis, à savoir la
publication d’un « ensemble de bonnes pratiques qualité pour les services en
ligne ». De plus, la contribution la plus large est recommandée par ses
initiateurs. Placé sous licence Creative Commons non commerciale à ses
débuts, cet ensemble de bonnes pratiques a subi des critiques (circonstanciées)
relatives au mode de distribution employé : en bref, seule la société Temesis
pouvait faire un usage commercial de ces bonnes pratiques, et ni les quidam
ni les contributeurs ne le pouvaient. Récemment cependant, et suite à ces
critiques, Temesis a changé sa politique et a placé ces bonnes pratiques sous
double licence d’exploitation : GPL et commerciale ; cela soulève d’autres
questions qui sont exposées ici.
Lors d’une récente discussion avec une juriste en droit de la propriété
intellectuelle, particulièrement versée sur les aspects des licences libres,
celle-ci m’affirmait que les clauses relatives à « un usage commercial » étaient
très difficiles à valider car la notion d’« usage commercial » n’était pas
définie juridiquement.
Comment déterminer ce qu’est un usage commercial ? Et dans un usage commercial,
toute ressource employée est-elle concernée par des clauses telles que « pour
usage exclusivement non commercial » ? Si je vends des prestations relatives
aux bonnes pratiques d’Opquast (et non pas les « bonnes pratiques » en
elles-mêmes), fais-je de ces dernières un usage commercial ?
La GPL n’exclut pas un usage commercial de toute ressource qui soit protégée
par ses termes. Par contre, elle interdit l’appropriation exclusive de cette
ressource. La citation des sources de cette ressource (auteurs et
contributeurs) est obligatoire, ainsi que de redistribuer la ressource (en
l’état ou modifiée) sous la même licence. Tout utilisateur des « bonnes
pratiques » sous GPL peut en faire un usage commercial (ou non). Ce n’est qu’en
cas de redistribution à des tiers que les termes de la licence vont prendre une
certaine importance.
Naturellement, vous l’aurez compris, les restrictions de la GPL sont très
minimes au regard des avantages qu’elle procure. Pour mettre en avant la
version « commerciale », il est donc nécessaire de jouer de la peur, de
l’incertitude et du doute pour que des personnes morales solvables
l’adoptent, à savoir des entreprises commerciales.
C’est pourquoi Temesis a dû croire bon de mettre une couche de FUD [2] dans sa page
relative aux conditions d’utilisation :
« Sociétés commerciales
Nous vous conseillons d’opter pour la licence commerciale, qui vous permet de faire une libre utilisation de l’ensemble des contenus proposés sur Opquast sans avoir à redistribuer le fruit de vos travaux (supports de formation, supports d’audit, cahiers des charges, etc.). Cette licence vous permet
également de vous faire répertorier comme partenaire du projet afin de bénéficier de sa visibilité pour vendre vos prestations, en plus de vous permettre de communiquer sur le site Opquast.com. »
Comment ?! Les sociétés commerciales ne donnent pas à leurs clients leurs
« supports de formation, supports d’audit, cahiers des charges, etc. » ? Alors, à
quoi bon les produire ? Naturellement, une lecture rapide ou approximative, ou
naïve, aura laissé croire qu’il s’agit d’une redistribution « publique et
inconditionnelle », mais il s’agit là d’un procès d’intention de ma part...
Naturellement, toute personne physique ou morale peut faire usage des bonnes
pratiques publiées sur le site Opquast en GPL sans avoir à redistribuer à la
Terre entière ses « supports de formation, supports d’audit, cahiers des
charges, etc. ».
On se croirait revenus à l’époque où des éditeurs de logiciels laissaient
entendre que l’usage de logiciel en GPL donnaient, aux entreprises
utilisatrices de ces logiciels, l’obligation de mettre en ligne toutes les
informations de leurs systèmes informatiques !
Prévoir une telle « licence commerciale » n’est donc pas destiné à favoriser
l’usage de ces bonnes pratiques, car la GPL seule serait suffisante ; le but
est que des tiers (par exemple des entreprises de service) achètent une licence
commerciale, puis modifient les bonnes pratiques, puis les redistribuent sans
mention des sources, et sans que cette nouvelle version ne soit sous une
licence libre. Ce peut être le choix de Temesis vis à vis de ses propres
productions, mais quid des contributions ?
Que deviennent les contributions des internautes de tous poils qui ont cru
placer leur compétences dans un « pot commun, bien partagé par l’Humanité »
disponible à tous sans restriction ? Leur expertise serait-elle spoliée par
Temesis ? Au nom de quoi Temesis s’arroge-t-elle le droit de diffuser ces
ressources alors qu’elle n’en est pas l’auteur ?
De plus, maintenant que les « bonnes pratiques » sont sous deux licences, sous
laquelle des deux les contributions sont-elles faites ?
En tant que contributeur, vais-je devoir payer pour pouvoir utiliser un travail
auquel j’ai participé bénévolement ?
Les contributions en GPL vont être rapidement une grosse épine dans le pied de
Temesis. A la fois la société ne pourra pas les redistribuer dans leur « pack
propriétaire » (appelé en langage businessement correct sous « licence
commerciale »), mais en réécrire sous licence commerciale va s’avérer une perte
de temps et d’énergie non négligeable.
Et les contributions « commerciales » ? Elles resteront seules dans leur coin et
perdront leur pertinence bien vite, de ce fait.
Ce que Temesis (en tant que personne morale) n’a pas l’air d’avoir compris,
c’est que l’âge du logiciel libre est celui où la logique du contrôle par
l’appropriation devient celle du contrôle par la légitimité. C’est un jeu
dangereux, et bien des ex-leaders de projets logiciels libres en ont fait
l’expérience. Par contre, rester leader d’un projet libre signifie :
avoir compris les règles et les accepter,
et rester légitime quant à diriger le projet lui-même.
Temesis ne perdrait en rien en devenant leader d’un projet purement libre, au
contraire ! Les prestations liées à ces bonnes pratiques seraient d’autant plus
intéressantes pour les clients potentiels, car on préfère toujours l’original à
la copie. Si un client opte pour les prestations de Temesis, c’est pour avoir
la bonne prestation par ceux qui sont au coeur de la problématique. Si
d’autres personnes (physiques ou morales) tirent profit de ces bonnes
pratiques, tant mieux ! Cela ne retire rien à Temesis...
Mieux, Temesis pourrait gagner à lancer une dynamique ouverte autour de ces
bonnes pratiques, en laissant prendre certaines responsabilités aux
contributeurs les plus valeureux. Temesis aurait principalement la (lourde)
tâche d’arbitrer les litiges et de plannifier les sorties de nouvelles versions
avec quelques uns des contributeurs majeurs.
Bref, animer une dynamique libre revient à gérer la complexité par
l’externalisation de certaines responsabilités, tout en jouant un rôle
d’arbitre/animateur.
Temesis a donc tout intérêt à passer à une licence exclusivement GPL sous peine
de se voir rapidement doublée par un contributeur qui emportera une foule
d’autres dans son sillage ; cela s’appelle une bifurcation (fork en anglais),
et cela laisse souvent des traces [3].
[1] En date du 11 décembre 2005, suite à un commentaire judicieux de M. Elie Sloïm, voir en bas de la page.
[2] F.U.D. :
Fear, Uncertainty and Doubt, i.e. peur, incertitude et doute.
[3] Lire à ce sujet Fear For Forking.